The Queen’s Gambit (*), c’est elle ! Multiple championne de France d’échecs, Mathilde Broly, 20 ans, est étudiante à l’école d’ingénieurs HEI de Lille. Rencontre avec une jeune femme étonnante et passionnée.
Mathilde Broly
20 ans.
Étudiante en 3e année à HEI à Lille.
Joueuse d’échecs.
Palmarès : Championne d’Union Européenne en 2008, Championne de France 2009, 2010, 2012, 2014, 2016, Championne d’Europe Centrale adultes ex-aequo en 2017, vice-championne du monde universitaire 2017.
Mathilde, d’où venez-vous ?
« Je suis née à Toulouse et je suis arrivée à Lille il y a 3 ans pour mes études. Je me sens très bien dans la région et Lille est vraiment une ville que j’adore. »
Comment avez-vous début les échecs ?
« Mon père a souhaité apprendre à jouer aux échecs à mon grand frère, ma grande sœur et moi. J’avais 6 ans à l’époque et on a tous très vite accroché. Mes parents nous ont alors inscrits au club d’échecs de Toulouse. »
Vous étiez très douée, très jeune et avez connu une ascension fulgurante. Racontez-nous vos premiers titres.
« J’ai débuté la compétition en 2007, à 7 ans. Cette année-là, j’ai gagné le championnat départemental, le championnat régional et j’ai fini 3e des championnats de France ! Cela m’a permis d’intégrer l’équipe de France et de devenir, en 2008, championne de l’Union européenne ! »
Quel est le niveau de la France, en échecs, par rapport aux autres nations ?
« Les nations mondiales qui dominent les échecs sont la Russie, la Chine et l’Inde. Mais la France a quelques très bons joueurs. Et lors des compétitions mondiales, on les confronte et on se rend compte que les Français sont bons. J’ai frôlé le top 10 mondial et européen. La grande différence réside dans le fait qu’en France, les échecs sont moins reconnus que dans certains pays. En Russie, on apprend les échecs à l’école par exemple. »
Les échecs sont un sport individuel. Pourtant il existe des compétitions par équipe ?
« Oui, c’est vrai. Les Interclubs ou le Top jeunes, sorte de championnat de France jeunes par équipe, sont deux compétitions où des équipes de huit joueurs s’affrontent. On peut aussi jouer aux échecs au collège ou au lycée, via l’UNSS. Quatre joueurs d’un même lycée affrontent les autres établissements. Cela fait partie de mes meilleurs souvenirs. On partage notre passion. On est tout seul devant l’échiquier mais on essaye d’être le meilleur pour l’équipe. Cela existe aussi au niveau adulte. En 2017, avec l’équipe de France adulte, nous avons terminé 2e du championnat d’Europe centrale (qui regroupe les pays de l’Est). »
Aujourd’hui êtes-vous toujours une joueuse d’échecs de haut-niveau ?
« Oui. J’ai d’ailleurs une compétition ce week-end, les championnats d’Europe en ligne ! La période de confinement est un peu particulière… Avec mon école d’ingénieurs (HEI), j’ai le statut de joueuse de haut-niveau. C’est-à-dire que je bénéficie d’aménagements horaires pour m’entraîner et pour les compétitions. Mais je suis une étudiante classique ! Avec mon entraîneur – qui est à Marseille –, on a une à deux séances d’entraînement par semaine via Skype. Le reste du temps, je m’entraîne seule sur internet. J’aime aussi regarder des parties analysées en direct par de grands maîtres sur la chaîne Chess 24. »
Quelle est la place des femmes dans le monde des échecs ?
« À haut-niveau, il y a moins de femmes que d’hommes. Je pense que cela s’explique par les catégories. Quand on débute les échecs et qu’on est une femme, on peut choisir de jouer dans la catégorie mixte (avec les hommes) ou la catégorie féminine. Bien que tous les titres que j’ai gagnés, je les ai obtenus en catégorie féminine, j’aimerais qu’il n’y ait qu’une seule catégorie pour ne pas enfermer les femmes dans leur performance et aussi les respecter à leur juste valeur. »
Peut-on apprendre les échecs à tout âge ? Est-ce qu’on peut continuellement s’améliorer ?
« Plus on commence tôt et plus on a des chances d’être fort, c’est sûr. Mais pour autant, on peut commencer à tout âge. Je pense que nous pouvons toujours nous améliorer, tant que notre capacité de réflexion n’est pas altérée. Après, l’ordinateur a révolutionné le monde des échecs. Nous, on joue avec nos sentiments, nos émotions. On doit pouvoir gérer notre stress, notre condition physique… Les compétitions peuvent durer 9 à 12 jours avec chaque jour une partie de 4 à 5 heures. C’est cela le plus difficile, enchaîner les parties et se remettre vite d’une défaite. »
Le fait d’être joueuse d’échecs vous a-t-il aidé dans vos études ?
« Être joueuse d’échecs me permet d’avoir une vision plus lointaine. Je ne m’arrête pas à un problème donné. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai choisi la mission de développement commercial dans la junior entreprise que j’ai intégré cette année. J’adore voir comment vont évoluer les choses. Le présent c’est important et il faut le prendre en compte. Mais avoir une vision plus lointaine permet de me rassurer. »
Quelles sont les valeurs des échecs ?
« Le respect de l’autre, la réflexion, la stratégie, la curiosité, la patience… Le cœur des échecs, c’est l’envie de progresser, l’envie d’être la meilleure, c’est d’ailleurs très bien montré dans la série « Le jeu de la Dame ». »
Quelle est votre tactique secrète ?
« Je n’ai pas de secret. J’ai des joueurs favoris, des styles de jeu qui me conviennent mieux. J’ai beaucoup appris de mon entraîneur Yannick Gozzoli et mon style de jeu vient sûrement un peu de lui. Je joue avec passion. »
Pensez-vous un jour arrêter les échecs ?
« Quand j’étais en prépa, j’ai dû mettre les échecs en stand by. La priorité, c’était mes études. Depuis que je suis à HEI, j’ai pu reprendre car l’école me donne les possibilités et me soutient. Je suis une passionnée, je ne me vois pas arrêter. »
Avez-vous un souvenir d’une partie difficile à nous partager ?
« Je suis en finale des championnats de France, c’est la dernière ronde, je joue pour le titre. Si je gagne, je deviens championne. J’étais en train de gagner le match et là je fais une erreur de débutant. Mon doigt touche une pièce. Et la règle aux échecs, c’est pièce touchée, pièce jouée. C’était la seule pièce qu’il ne fallait surtout pas bouger. Mais je suis forcée de la bouger. Et je me suis retrouvée coincée, j’ai dû abandonner et j’ai fini 5e cette année-là. Mon égo en a pris un coup. La défaite m’est restée en travers de la gorge. J’étais en colère contre moi. L’année suivante, je suis revenue en finale, et cette fois, j’ai gagné la partie et le titre (sourire). »
(*) : The Queen’s Gambit (ou Le jeu de la Dame) est une mini-série américaine diffusée en octobre 2020 sur Netflix qui raconte le parcours d’une jeune orpheline devenue championne d’échecs. La série a connu un grand succès.