Le Ministère de l’Éducation nationale a inscrit l’enseignement de la langue picarde dans le Bulletin Officiel de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports. Les élèves pourront ainsi s’initier à cette belle langue régionale. Réactions d’Olivier Engelaere, Directeur de l’Agence régionale de la langue picarde.
Au mois d’avril 2021, les parlementaires ont voté à l’Assemblée nationale l’introduction des langues régionales dans le programme des écoles primaires. La langue picarde pourra désormais être enseignée dans des écoles et des établissements des deux académies, Lille (59) et Amiens (80), dans le cadre des horaires habituels des élèves et dans le respect des programmes de langues vivantes de l’Éducation nationale. Une belle façon pour les élèves de découvrir cette langue, souvent considérée comme étant surtout pratiquée par nos ainés.
Bonne nouvelle pour notre Région : le picard, comme le flamand occidental, a été inclus dans la nouvelle circulaire et pourra donc être enseigné à l’école ! Cette tradition, cette part de notre patrimoine seront préservées et continueront à être transmises aux jeunes générations. https://t.co/8HN4OWiIge
— Xavier Bertrand (@xavierbertrand) December 16, 2021
Entretien avec Olivier Engelaere, Directeur de l’Agence régionale de la langue picarde. L’Agence régionale de la langue picarde a pour but de faire la promotion de l’usage de la langue picarde dans tous les secteurs de la société. Elle a son siège à Amiens mais ses actions et projets en faveur du développement de l’usage de la langue picarde concernent l’ensemble des cinq départements qui constituent la région Hauts-de-France.
Région Hauts-de-France : le ministère de l’Éducation nationale a inscrit l’enseignement de la langue picarde dans le Bulletin Officiel. Les élèves pourront découvrir cette belle langue : quelle a été votre réaction en apprenant cette nouvelle ?
Olivier Engeleare : « Notre première réaction a été la surprise car le picard ne figurait pas dans la première version de la circulaire relative à l’enseignement des langues régionales alors que le flamand occidental avait été retenu. Nous avons immédiatement mobilisé les élus que nous connaissons, dont le Président Xavier Bertrand, afin qu’ils interviennent auprès de Jean Castex pour que le Picard soit ajouté à la liste. Que tous ceux qui ont œuvré pour que le picard soit ajouté à cette liste soient infiniment remerciés !
Ensuite, cela a été bien entendu une immense joie de voir que ce combat de 35 ans pour que le picard puisse enfin pousser les portes des écoles trouvait enfin une issue favorable. Cette joie nous l’avons partagée avec tous ceux, membres de l’Agence régionale de la langue picarde, artistes et militants qui se sont mobilisés depuis toutes ces années et qui n’ont pas lâché prise alors que notre langue avait été régulièrement et consciemment « oubliée » par le Ministère de l’Education nationale.
Enfin, très vite, ce moment de joie passée, la réalité des défis que nous allons devoir affronter est apparue. Comment allons nous faire entrer le picard à l’école alors que nous avons 50 ans de retard sur les autres langues dans ce domaine ? Il va falloir former des enseignants, créer des méthodes, du matériel pédagogique, établir un programme sur plusieurs années pour que les enfants puissent suivre un cursus de picard qui, dans l’idéal, devrait aller de la maternelle à l’université. Les priorités de l’Agence régionale de la langue picarde vont donc devoir évoluer, ainsi que ces moyens si nous devons accompagner les Rectorats de Lille et d’Amiens dans la mise en place de cet enseignement. La Région Hauts-de-France compte des milliers d’écoles ainsi que des centaines de collèges et de lycées située dans la zone où le picard est pratiqué de manière historique, c’est-à-dire dans les cinq départements de la Région. La tâche à accomplir peut donner le vertige, mais elle constitue en même temps une formidable motivation et nous allons nous atteler à ce travail avec plaisir et détermination. »
Région Hauts-de-France : vous effectuiez déjà des actions auprès des jeunes avant cette inscription au BO ? Lesquelles ?
Olivier Engeleare : « Depuis une quinzaine d’années, l’Agence intervient essentiellement dans les dispositifs mis en place par la Région dans les lycées (PEPS). Elle est également inscrite dans le Parcours Artistique et Culturel en direction des collèges du département de la Somme (PAC80) ainsi que le Contrat Départemental de Développement Culturel (CDDC), également en direction des collégiens, du département de l’Oise. En 2014, nous avons saisi l’opportunité de la mise en place de la semaine de cinq jours et des temps d’activités périscolaires, pour proposer des ateliers de langue picard en primaire. Notre première expérience s’est déroulée à l’école Dany Pruvot à Abbeville. Jusqu’en 2018, l’Agence a ainsi pu proposer des activités autour du picard dans une dizaine d’écoles. Depuis 2018, notre cheffe de projet, France Avisse, anime des ateliers chaque année dans les écoles de Roisel et de Péronne. Plus récemment nous sommes intervenus pour d’autres projets, toujours en primaire, à Vermand, Saint-Quentin et Léaucourt dans l’Aisne. Malheureusement, ces actions sont trop souvent limitées aux établissements scolaires situées dans le département de la Somme alors que le picard est pratiqué dans les cinq départements des Hauts-de-France. Cependant, grâce aux PEPS, qui est un dispositif régional, nous avons pu mener des projets dans des lycées situées à Liévin, Saint-Omer, Calais, Boulogne, Rang-du-Fliers et Cambrai. Nous espérons qu’un dispositif plus particulièrement adapté aux langues régionales des Hauts-de-France nous permette enfin de rayonner sur l’ensemble de la région. »
Est-ce que vous avez pu vous rendre compte que les jeunes étaient sensibles à la langue picarde ?
« Tout à fait ! Depuis quinze ans que nous intervenons en milieu scolaire, et plus particulièrement en primaire, nous n’avons jamais rencontré de rejet de la part des enfants et des jeunes qui participent à nos activités. Nous avons également toujours recueilli l’adhésion de l’équipe éducative ainsi que des parents d’élèves, la preuve en est qu’on nous demande de revenir ! Le picard à l’école est une source de plaisir et de découverte pour les enfants. Souvent les parents apprennent, à travers leurs enfants, que ce qu’ils croyaient être un patois ou du français déformé est une langue qui peut être pratiquée à l’école et que cette langue est riche et ancienne. Ils retrouvent des mots de leur enfance et c’est aussi l’occasion d’un échange intergénérationnel avec les grands-parents. Enfin, nous avons constaté que les enfants n’ont aucun a priori sur la langue. À de rares exceptions, ils l’ignorent presque totalement et pour eux c’est une langue comme les autres, sauf qu’elle les renvoie à leur territoire et à leur histoire. À noter que l’enseignement du picard ne peut fonctionner que sur la base du volontariat des enfants et de leur famille. Une langue régionale ne doit jamais être imposée. »
Est-ce qu’il est prévu que vous vous inscriviez dans cette nouvelle démarche, au sein de l’Éducation nationale ?
« Bien sûr ! La circulaire qui reconnait le picard à l’école a été publiée le jeudi 16 décembre et le 20 au matin nous avions déjà rendez-vous avec les Inspecteurs d’Académie du Pas-de-Calais et de la Somme. L’Agence sera un partenaire essentiel de l’Éducation nationale dans la mise en place de l’enseignement du picard comme langue régionale dans les Rectorats d’Amiens et de Lille. Elle pourra apporter son expérience en matière de transmission, son travail de normalisation pour que le picard puisse être enseigné de manière uniforme sur les cinq départements. Elle participera activement à la formation des enseignants volontaires et pourra réaliser le matériel pédagogique nécessaire (méthodes, dictionnaires et textes). L’Agence pourra également être le relais des autorités éducatives auprès des artistes et des bénévoles qui souhaitent faire partager leur langue et leur création en langue régionale avec les plus jeunes, comme la circulaire le prévoit. »